Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22 mars 2010

À PROPOS DE LA 3ème VOIE....

....OU ANALYSE D’UN SCRUTIN (Tribune Libre)

Le second tour des élections régionales - ce 21 Mars 2010 - ne laisse personne indifférent.

D’aucuns souligneront d’abord, avec un étonnement feint, le retour en force du Front National : c’est ce qui marque sans doute le plus les esprits parce que cela dérange tous les partis politiques, quels qu’ils soient, y compris, bien sur, celui dit “majoritaire” qui prétendait l’avoir éradiqué définitivement du paysage français. Mais ses idées ont fait, depuis 10 ans, leur chemin, tant à droite qu'à gauche, et ce parti n'est plus l'épouvantail qu'il était il y a dix ans. Débat sur "l'identité nationale" oblige vraisemblablement aussi.

Cependant, ce scrutin appelle aussi d’autres enseignements, plus intéressants.

 

LE RETOUR EN FORCE D'UNE NOUVELLE GAUCHE

En prélude, le fait marquant de ce second tour est bien le retour en force d’une certaine nouvelle gauche devenue majoritaire. Il n’y a, à ce propos, aucune ambiguïté, aucune contestation possibles.

Nouvelle gauche, car c’est une nouvelle et vaste alliance rose-verte-rouge, et non plus celle plus concentrée autour du PS comme dans le programme commun mitterrandien. Mme Aubry a été bien inspirée d'avoir le triomphe modeste le soir du 2ème tour car la distribution des cartes a bien changé depuis 1981. Mais une gauche majoritaire quand même, avec plus de 54% des suffrages. Mais ceci, surtout, au détriment des partis dits "de droite" comme cela fait près de 30 ans qu’on ne l’avait vu, avec leurs 35% de voix. Un précédent historique dans la Vème République.

Enfin, autre fait marquant, c’est le taux d’abstention : 49%. Tous le déplorent à l’unisson. Avec raison.

 

L'ABSTENTION : UN VOTE PUISSANT, UN MESSAGE FORT

Mais, au-delà des chagrins de circonstance, ces 49% ne sont pas une simple abstention par indifférence mais sont bien un vote. Un vote puissant, porteur d’un message fort, et que nul responsable politique ne peut plus, aujourd’hui, ignorer.

Ce vote est l’expression d’un dépit, d’une déception des partis “traditionnels”, d’une lassitude de leurs slogans ritournelles, de leurs éternelles promesses trop rarement tenues, de leurs archaïsmes, cachant souvent mal, de surcroit, certaines ambitions personnelles. Ces 49%, c’est le vote du refus de la moitié du corps électoral français de voir tout cela se perpétuer. C’est le vote du premier parti de France, même si celui-ci est totalement composite et insaisissable. C’est là un des traits les plus significatifs de ce 21 Mars 2010.

Déjà, sitôt le 1er tour, après les déclarations officielles de (fausse) indifférence émanant de l’Élysée face à un désastre annoncé, des voix ont vite commencé à s’élever des rangs de l'UMP et de ses alliés. Après Copé demandant un “retour aux fondamentaux”, ou celle du très chiraquien Baroin ou encore d’un Raffarin demandant un "ralentissement des réformes", ou d’un Morin (NC) dénonçant l’erreur de stratégie du parti unique imposé par Mr Sarkozy (après le 1er tour, il était bien temps de s'en apercevoir !), voici que, déjà, Mr De Villepin prend rang et annonce la constitution d’un nouveau mouvement national de la droite "républicaine et gaulliste", hors le giron sarkozien et face à lui. De son côté, Mr Cohn-Bendit, lui, aspire, dans un “appel du 22 Mars”, à la création d’un parti écologique moderne, (en opposition ?) avec les "vieux" verts.

Avant même, donc, le 2ème tour, c’était déjà la cacophonie, un peu partout. C'est pis aujourd'hui.

 

NAISSANCE D'UNE TROISIÈME VOIE

Ce qui frappe dans ce 2ème tour, c’est que chaque fois que les électeurs ont eu la possibilité de choisir en dehors de la bipolarisation UMP-PS (et de leurs alliés) telle que souhaitée et organisée par Mr Sarkozy - cas des triangulaires ou des quadrangulaires - ces électeurs ont voté en grand nombre pour une sorte de 3ème voie, c’est-à-dire hors des binones habituels : toutes les listes qui n’étaient ni UMP, ni PS, ont progressé fortement au 2ème tour. C'est le fait le plus marquant de tous.

Ceci a bénéficié largement au Front National qui a progressé significativement dans les 12 régions où il était présent. C’est le cas du MoDem en Aquitaine avec l’atypique Jean Lassale qui passe de 10 à 16% des voix, C’est le cas de l’alliance PCF-PG-NPA (cas unique en France) dans le Limousin, passant de 13 à 19%. C’est le cas de la liste Europe-Écologie en Bretagne, la seule qui avait refusé de faire alliance avec le PS. C’est le cas des nationalistes en Corse qui y bloquent même aujourd'hui la constitution d’une réelle majorité PS. Dans une moindre mesure, c’est aussi le cas de Georges Frêche, dans le Languedoc-Roussillon, dont une grande part du succès est due à sa dissidence face aux diktats des états-majors parisiens.

Bref, il doit y avoir en France au moins un homme heureux : c’est François Bayrou dont le message a toujours été de s’élever avec force contre la bipolarisation rêvée par Mr Sarkozy. La lassitude du binone UMP-PS est flagrante. Malgré les échecs apparents de Mr Bayrou dans un scrutin qui ne pouvait lui être favorable, ses idées triomphent donc sur le terrain. Et grace à cette pertinence contre vents et marées, tous les espoirs lui restent donc permis. Malgré les apparences du moment.

 

L'ERREUR DE Mme AUBRY

Du côté du PS,  Mme Aubry a fait une grossière erreur de casting entre les 2 tours. Même si cette erreur a pris toutes les apparences d’un succès inespéré.

Je reprends, pour m’en expliquer, volontiers cette réaction de Daniel Cohn-Bendit au soir du 2ème tour quand il annonce que "les difficultés pour la gauche sont devant elle". Il a raison.

Pour former en effet une majorité de gauche, Mme Aubry s’est tournée vers les courants les plus archaïques de celle-ci : elle a fait alliance avec le vieux PC bancal, pas l'autre de Mélenchon, puis avec les "Verts historiques" les plus outranciers. Or ce n’est pas faire mystère qu’une telle alliance a peu de chances de résister face à ses contradictions idéologiques internes. Tout sépare en effet le PS de ses partenaires de circonstance dès lors qu’ils devront aborder la politique des énergies, ou celle des transports en commun, pour ne citer que ces deux exemples. Les uns sont partisans du maintien, sinon du développement, de l’énergie nucléaire de base, quand d’autres y sont viscéralement hostiles. Les uns veulent le développement des lignes à grande vitesse pour rapprocher les régions et les marchés, les autres s’y opposent fermement. Par idéologie. C’est ingérable.

Mme Aubry aurait donc pu mieux choisir ses partenaires. Peut-être l’a-t-elle fait par habileté, ou pure stratégie, pour mieux dominer ceux-ci lors des débats que la réalité des faits devra nécessairement ramener à la raison ? Mais que de divisions à surmonter d’ici là ?

 

QUELLE MAJORITÉ DEMAIN ? POUR QUOI FAIRE ?

Quant à la majorité parlementaire réunie autour de Mr Sarkozy - peut-on encore parler de “majorité présidentielle” puisque celle-ci n'est plus que son ombre ? - outre les voix déjà entendues entre les deux tours (ou sitôt après), il est fort à parier que bien des réformes vont être remises en cause par des députés inquiets de la tournure de événements en perspective de leur réélection.

D’abord, cette "taxe carbone" franco-française que les foyers et les entreprises françaises devront durement supporter, seuls, face à des partenaires économiques indifférents qui en profiteront pour prospérer sur notre dos. J’ai déjà dénoncé l'imbécilité de cette taxe (voir mon billet du 14/9/2009) qui, si elle ne concerne pas l’immense majorité des pays développés à l'échelle mondiale, n’a aucun sens. Même si cela affecte politiquement les effets de notre ambitieux “Grenelle de l’environnement”.

La réforme judiciaire ? Les français sont bien conscients qu’elle porte une grave atteinte à l’indépendance judiciaire. Alors que, déjà, le Parlement avait voté une loi réformatrice qu’il suffisait d’appliquer pour éviter les déplorables errements du type "Outreau".

Et ne parlons plus de ces inutiles débats ravageurs du style “identité nationale” qui n’ont servi qu’à cristalliser l’opinion française et la diviser là où il fallait la rassembler. On a vu le résultat.

Mr Sarkozy, à qui ses partisans prêtent volontiers le statut du dogme de l’infaillibilité politique, a montré les limites de son jugement. Même face à une gauche faussement victorieuse, il ne peut plus se permettre ces trains de réformes à tout va, sitôt abandonnées dès qu’abordées (à quand donc les décrets d’application de celles déjà votées dès 2007 et qui sont, depuis, dans les tiroirs ?). Même si des réformes sont indispensables, le rythme imposé a conduit à les rendre indigeste à des français qui en ont perdu tous leurs repères.

Finie aussi la tactique du parti unique. L’alliance forcée “union-fusion” UMP-Centristes (compatibles) a atteint ses limites et a porté les fruits que l’on sait. C’est une erreur fatale de stratégie.

Mr Sarkozy n’est plus roi en son royaume. Même si ses adversaires sont et demeurent enfermés dans un fragile assemblage de circonstance dont les limites sont fort étroites.

Ainsi va la vie politique.

 

François VAN DE VILLE

Les commentaires sont fermés.