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02 août 2008

KARADZIC et les "ARRANGEMENTS" AMÉRICAINS

DE L'ÉTHIQUE EN DIPLOMATIE...            

Éditorial de Daniel RIOT

Ceux qui se prétendent réalistes ont souvent une très mauvaise perception du réel. Et la réalpolitik qui autorise tous les cynismes et toutes les pratiques amorales ou immorales, au nom de bonnes intentions mal servies par des intérêts mal évalués à court terme, conduit souvent à des catastrophes.

La nouvelle “affaire Karadzic” qui est d'abord un  nouveau “scandale yankee” en est une nouvelle illustration. Vieilles questions de la “fin et des moyens”, du “pardon” et du “repentir” politique, de “la morale et de l'efficacité” en matière de Justice et des “sales boulots” de la diplomatie secrète.

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Le Nouvel Observateur, dans des informations exclusives, confirme que l'ex-leader des Serbes de Bosnie, jugé à la Haye pour génocide, s'était bel et bien vu garantir par les Américains d'échapper à la justice internationale en échange de son retrait de la vie politique, comme il l'a affirmé jeudi dès sa première apparition devant le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie.

Accord secret il y a eu. Conclu avec le négociateur américain, Richard Holbrooke, “pour tenter de mettre fin à la guerre”. En échange de son retrait de la vie publique, le leader serbe bosniaque s'était vu garantir d'échapper à la justice internationale. Merci pour tous ceux qui pense que “l'ordre mondial” à établir doit se fonder sur des règles de droit et non sur les calculs ou les caprices des ”puissants”.

Richard Holbrooke a aussitôt démenti jeudi, dans un entretien sur CNN, avoir passé un tel accord. Évidemment. L'art de démentir est souvent une face du mentir. La “vérité” officielle, en ce domaine plus que partout ailleurs, “est officielle, pas véridique” :

Le Président du Tribunal a été surpris par les révélations de Karadzic, mais le “Pol Pot des Balkans” avait déjà lui-même fait état de ce marchandage dans une interview inédite datant de 1997... Il y a visiblement des “trous” dans le dossier de “l'instruction”...

Jean-Baptiste Naudet l'explique sur "NouvelObs.com" : L'inculpé par le Tribunal pénal international de La Haye avait alors déclaré que "la capitale des Pays-Bas n'aura pas le privilège de m'héberger. Richard Holbrooke m'a proposé le compromis de me retirer dans l'anonymat en échange de la protection américaine face au Tribunal de La Haye. J'ai respecté ma partie". Cette interview a été réalisée en janvier 1997, à Pale, "capitale" des Serbes de Bosnie, dans le cadre d'un documentaire historique. Elle a été vue par un journaliste du Nouvel Observateur et authentifiée par deux proches de Karadzic. (Voir l'article publié en 2002 dans le Nouvel Observateur : "Karadzic. Le secrets d'une traque")
 
Richard Holbrooke avait expliqué, de son coté, que son projet d'accord prévoyait que Karadzic “quitterait la Bosnie et se soumettrait au Tribunal pénal international”, dans son livre, “To End a War”, (“Pour finir une guerre”). Mais, après négociations avec Radovan Karadzic, cette clause a disparu de l'accord public, publié le 19 juillet 1996.

Jean-Baptiste Naudet poursuit : "Contacté par le Nouvel Observateur, Luka Karadzic, le frère de Radovan Karadzic, qui a été en relation avec Pierre-Richard Prosper, l'ambassadeur américain itinérant pour les crimes de guerre, a estimé que les Américains n'ont pas tenu leur parole". "L'accord Holbrooke-Karadzic était un gentleman's agreement, pas un accord écrit noir sur blanc. Radovan devait se retirer de la vie politique et ils le laisseraient tranquille", a-t-il déclaré au Nouvel Observateur.

Cette affaire mérite réflexion, bien sûr. Personne ne peut condamner des “accords” destinés à “finir une guerre”. Toute guerre, surtout “civile”, qui ne se termine pas par l'écrasement d'un camp par l'autre ne peut trouver une issue que par des compromis entre les vainqueurs et les vaincus.

L'Histoire de l'Humanité est aussi une suite "d'arrangements”. C'est d'ailleurs ce qui devrait nous inciter à davantage de prudence dans les définitions et les qualifications manichéennes des “forces du mal” quand “l'ennemi” est diabolisé à outrance...

Ce sont ces “arrangements” qui transforment parfois, souvent, un “terroriste” en “héros respectable”, et permettent à des “criminels de guerre” de se “refaire une santé”, sous une nouvelle identité. Avec de nouvelles activités. Surtout quand ils sont “récupérés” pour  servir les intérêts de ceux qu'ils combattaient...

Dans ce type d'affaires, tous les pays ont “des cadavres dans les placards”, selon la  formule de l'ancien ministre britannique Georges Brown...

Combien d'anciens chefs nazis ont-ils pu “vivre heureux” (ou presque) parce que jugés “utiles” par les “services” (américains, notamment) dans les luttes contre le communisme, par exemple.

Ces “arrangements” conduisent parfois, souvent, à sacrifier le moyen et le long terme aux impératifs du présent... et à conclure des paix (fausses) ou des trêves (artificielles) qui annoncent d'autres séismes, d'autres catastrophes. “Finir une guerre” n'est pas “Établir la paix”...

Au nom du “les ennemis de mes ennemis sont mes amis”, que de sottises criminelles ont été commises, y compris dans cette époque dite “moderne” !

La carte géopolitique du Proche-Orient résulte en grande partie de ce type de mauvais calculs. Qui a favorisé les forces “intégristes” des “Fous d'Allah” au Liban et dans les “territoires” ? Ceux qui, à Washington et à Jérusalem, ont pensé que les ennemis palestiniens et arabo-islamistes d'Arafat et de l'O.L.P. pouvaient “servir les intérêts de la paix”...

Et ne parlons pas de l'Afghanistan où les Occidentaux ont eu raison de combattre “l'invasion soviétique” mais tort de renforcer les Talibans...

Des constats de ce type sont à faire sur tous les continents. A propos de tous les “points chauds”, ou presque. Excès d'indulgence hypocrite et cynique ici. Excès d'erreurs de jugements et de calculs à trop court terme, là...

Si l'Europe n'a pas pu être pacifiée après la tuerie de la “der des der”, c'est parce que la Justice s'est résumée à la loi des vainqueurs.

Si l'unification européenne a pu se forger après l'indicible Tragédie appelée “deuxième guerre mondiale”, c'est  parce que les vainqueurs ont eu la sagesse (donc le vrai réalisme) de vouloir “gagner la paix”, ce qui est évidemment plus difficile que de mettre seulement fin à des combats.

Or la paix ne se gagne pas par des “arrangements”. Elle se gagne par le respect de règles de droit qui donnent du sens au mot “valeur” et par une intelligence d'action qui repose sur une éthique diplomatique et politique partagée.

Promettre l'impunité à Karadzic, c'était insulter ses victimes, donner bonne conscience à ses supporters et encourager ses partisans à poursuivre les luttes contrariées. C'était faire prospérer cette idéologie “national-populiste”, ce “fascisme rouge-brun”, cette “soif de purification ethnique” qui a déjà fait tant de ravages... C'était aussi illustrer le mépris dans lequel les autorités américaines tiennent le concept même de “justice internationale”. C'était, surtout, peut-être trahir les “valeurs” proclamées par ceux qui se prennent pour les “gendarmes du monde”. En oubliant que les “gendarmes” ne doivent pas être des juges... En oubliant surtout que le vrai réalisme, en démocratie, c'est  d'agir en respectant ses propres valeurs. Par morale et par souci d'efficacité durable...

Daniel RIOT

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