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21 juin 2008

EUROPE : NE PAS DÉRANGER

par François D'Orcival (Valeurs Actuelles - 20/06/2008)
 
c061cb0f7a0053721cb95a46f8bf7f38.jpgQu’est-ce qu’une Europe puissance politique qui n’aurait pas les moyens d’exercer ses responsabilités ? Le Président de la République posait la question, mardi matin, après avoir présenté aux armées les ambitions et les moyens que la France entendait consacrer à sa politique de défense. La question prenait tout son sens après le non irlandais au traité de Lisbonne. Les élites françaises ont toujours voulu croire à une Europe puissance qui serait en quelque sorte une “France en plus grand”, une Europe ambitieuse, capable de tenir tête à l’Amérique.

Cette Europe-là, les Irlandais lui ont dit non. Pas seulement eux : qu’il se soit agi du traité constitutionnel ou du traité “simplifié” de Lisbonne, cette même idée de l’Europe aura été soumise cinq fois au suffrage populaire – et rejetée trois fois par les peuples consultés, y compris par les Français. Sans doute ce vote a-t-il eu lieu à des moments différents, pour des motifs variés, au nom de principes parfois opposés, mais le résultat est demeuré le même : c’est non.

Deux militants européens, Guillaume Klossa, conseiller du Secrétaire d’État chargé des Affaires Européennes, Jean-Pierre Jouyet, et Stéphane Rozès, politologue de l’Institut CSA, résumaient parfaitement dans la livraison de printemps de la revue "Commentaire" l’enjeu du traité de Lisbonne : « L’identification d’une communauté humaine à une construction politique requiert, outre des valeurs partagées et une dynamique collective, l’incarnation du pouvoir dans des personnalités légitimes. C’est justement cette étape décisive que permet le traité qui donne à l’Union un président stable,mais aussi un ministre des Affaires étrangères qui devrait être la voix de l’Europe dans le monde à un moment où les Européens ont pris conscience que les rapports de force mondiaux leur étaient de moins en moins favorables… » Eh bien, 53% des Irlandais n’ont voulu ni de cette dynamique collective ni de cette incarnation du pouvoir ; ils ont préféré défendre leur modèle économique et leur fiscalité contre tout risque d’harmonisation sociale et fiscale européenne, se préserver des moeurs européennes (la légalisation de l’avortement) et surtout, conserver leur statut de neutralité.

Les conséquences de ce vote sont claires, que la ratification du traité se poursuive ou pas ne change rien à l’essentiel : l’Europe va fonctionner par cercles, par groupes, par coopérations, entre pays volontaires, les autres restant sur le bord de la route. Ce sera un cadre de travail, pas une dynamique.

Quand Nicolas Sarkozy, à la veille de présider pour six mois cette Union européenne, rêve d’une Europe qui serait en mesure d’exercer dans le monde des responsabilités à la hauteur de ses capacités, deux voix anglo-saxonnes, l’une américaine, l’autre britannique, lui répondent : certes, mais hélas vos peuples ne le veulent pas. Dans le Financial Times de Londres, Gideon Rachman estime que les Européens ne rêvent en réalité que d’être une sorte de Suisse géante qui se tiendrait confortablement à l’écart des affaires du monde. Son confrère Robert Kagan ne dit pas autre chose dans le Washington Post : n’est-ce pas finalement à une Europe sans traité ni leadership qu’aspirent ses peuples – s’attribuant le rôle du choeur de la tragédie grecque qui se lamente en vain devant la marche inexorable de l’Histoire ? Qui avait dit que le XXIe siècle serait celui de l’Europe ? « L’Amérique n’est pas près de pouvoir déposer son fardeau… ». Mais assis sur leur continent, les peuples européens continueront de se payer le luxe de la critiquer pour ce qu’eux-mêmes ne voudront pas faire.

À cela, il y a une double explication : dans un premier temps, les Européens se sont forgé une identité autour de leurs valeurs de civilisation sous la menace du péril soviétique ; quand celui-ci a disparu lors de la chute du mur de Berlin suivie par la dislocation de l’URSS, la peur s’est dissipée, l’unité aussi. Ensuite est intervenue, ce qui était logique, l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale ; mais cela a provoqué une nouvelle inquiétude : jusqu’où cet élargissement pouvait-il aller, quelles étaient nos frontières,qu’allait-il advenir de notre identité ?

Cela s’est cristallisé dans la négociation d’adhésion de la Turquie. Mais si l’Europe n’était finalement qu’une zone monétaire, un marché unique, une machine à subventions, on voit mal à quoi pourrait bien correspondre cette inquiétude. Nous ne sommes décidément pas 400 millions d’Européens, contrairement à ce qui se répète, mais vingt-sept peuples,de 400.000 à 80 millions d’âmes. Des peuples qui vieillissent et n’entendent pas être dérangés.

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