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30 octobre 2016

UN AFFRONTEMENT FONDATEUR

UN AFFRONTEMENT FONDATEUR

On ne peut qu’être frappé par l’obsession Bayrou qui, chez Nicolas Sarkozy, alors qu’il est en perdition devant Alain Juppé dans les sondages, a envahi tous les discours et toutes les émissions, et les tribunes signées de ses séides rameutés. Des heures de diatribes, culminant à Marseille en ce cri enfin arraché à la foule - et rapporté par une journaliste présente - « Bayrou saloperie ! ».

À cette obsession, d’abord, on a peine à croire, on s’interroge sur la stratégie : comment une force qui se croit si considérable se sent-elle menacée à ce point par ce qu’elle prétend mépriser ? N’y aurait-il pas là en réalité un dangereux et révélateur aveu de faiblesse ? Et puis l’on réfléchit, et l’on se dit que si la question a pris une telle importance, c’est qu’elle doit couvrir un affrontement fondateur, une confrontation essentielle qui appelle à trancher d’une ligne politique et de l’avenir d’un pays.

On doit donc entrer dans le fond de cet affrontement, car il est porteur de sens. On doit le faire sérieusement car c’est un affrontement sérieux, et sans ire superflue : en démocratie, il n’est pas besoin de se haïr pour se combattre.

J’appartiens aux trois millions de Français qui n’étaient pas de gauche et qui ont voté contre le renouvellement du mandat de Nicolas Sarkozy. Mon vote a eu un écho, un retentissement que j’assume. En 2007, j’avais voté blanc. Mais l’exercice des cinq années de mandat et la conduite de la campagne de 2012 m’ont convaincu, comme ces millions de compatriotes, qu’une réélection du président sortant ouvrirait la porte à des dérives encore accentuées et que nous ne voulions pas voir.

Et ce n’est pas parce que le quinquennat suivant a été porteur de tant de faiblesse et de tant d’errances que cela efface les raisons de notre choix.

Nous n’avons rien oublié de la gravité des raisons qui nous ont convaincus à l’époque : les atteintes graves et répétées aux principes de notre vie en commun, les abus de pouvoir et l’orientation de la campagne entièrement conduite pour opposer les Français entre eux. Ces raisons étaient impérieuses. Elles reposaient toutes non pas sur des a priori, mais sur des faits indiscutables et désormais prouvés. Elles faisaient craindre pour l’intégrité de notre pays, pour l’image de nos institutions, pour notre démocratie. Elles étaient fondées : qui sait où nous en serions arrivés si une réélection-surprise avait livré le pays à l’ivresse d’un succès construit sur tant de dérives ?

Ce qu’il y a de fascinant aujourd’hui, c’est que ces traits de caractère, ces pratiques, tous les concurrents de la primaire les dénoncent aujourd’hui, peu ou prou, chacun à leur manière, mais à l’unisson, eux qui ont vu de près l’ambiance et la manière de ces cinq années de pouvoir. Ce qui devrait faire réfléchir y compris les esprits partisans.

Mais l’affrontement ne porte pas sur le passé seulement, ce serait trop simple. En ce qu’il porte sur l’avenir, il est encore plus grave et plus profond. Comment quelqu’un qui a été président de la République et qui aspire à le redevenir peut-il se comporter de la sorte ? Comment peut-il en arriver à cette violence de chaque minute, lâchant des insultes avec un mépris affiché, crachant sur ceux qui ne votent pas pour lui, n’hésitant pas à leur enjoindre sans crainte du ridicule de « se taire », n’hésitant pas en un moment où la sécurité est menacée et la police déstabilisée à qualifier Bernard Cazeneuve de « ce qui nous sert de ministre de l’intérieur » ?

J’essaie de comprendre ce qui sous-tend ce mépris, cette violence, cette perpétuelle exagération de caricature et j’y découvre des différences de conception qu’il convient d’assumer.

C’est de la démocratie d’abord qu’il est question dans cet affrontement. Pour Nicolas Sarkozy, visiblement, la fin justifie toujours les moyens. Pour moi, je crois que les moyens utilisés, quand ils sont bas, contaminent le but qu’on prétend atteindre. Pour lui, le pouvoir est une domination, et la conquête des électeurs se paie par l’hystérie… C’est exactement le contraire de ce que je pense et d’ailleurs aussi le contraire de la ligne qu’il affichait dans les discours qu’on lui faisait lire en 2007 : « je demande à mes amis de me laisser libre, libre d’aller vers les autres, vers celui qui n’a jamais été mon ami, qui n’a jamais appartenu à notre camp, à notre famille politique et qui parfois nous a combattus. Parce que lorsqu’il s’agit de la France, il n’y a plus de camp ! » Voilà ce qu’il piétine !

L’excitation du sectarisme et de l’intolérance, c’est aussi un affrontement sur la conception même du pouvoir présidentiel. Pour moi, un chef d’État est un chef de famille. Les chefs de famille, au masculin comme au féminin, ont souvent à prendre des décisions rudes, sans se laisser détourner de leur devoir, des décisions franches, sans se laisser impressionner par des résistances infondées. Mais il est une chose que chef de famille on n’a pas le droit de faire, c’est d’asseoir son pouvoir sur la division de la famille, de la susciter et de l’entretenir, de monter le frère contre le frère, les proches les uns contre les autres.

La ligne stratégique de Nicolas Sarkozy a constamment été, pour gagner des voix, pour mobiliser des foules d’électeurs autour de lui, de faire flamber la division dans son pays. Au service de ce choix, il a fait feu de tout bois : les partis, la gauche, la droite, la nationalité, l’origine, la religion, le vêtement, la nourriture, l’Islam toujours.

Faire de la division du pays le principe de l’action présidentielle, c’est manquer à la mission première qui est d’assurer la concorde civile, de rassembler les forces et de les ordonner pour faire face aux tempêtes. L’écriture le dit depuis la nuit des temps : « toute demeure divisée contre elle-même périra ».
C’est pourquoi, pour moi, un président qui n’est pas un rassembleur n’est pas un président.

Et cela a une traduction simplement politique. Ce qu’affirme Nicolas Sarkozy à longueur de meetings, c’est que le pouvoir qu’il ambitionne, il veut le construire contre, contre le centre indépendant, contre la gauche quelle qu’elle soit, contre ceux qui n’auraient pas voté pour lui à telle ou telle échéance, et que ce pouvoir doit s’exercer, tout le temps qu’il durera, contre ceux qu’il doit réduire et en fait soumettre.C’est le contraire de ce que je pense. Encore davantage dans les temps que nous vivons. J’affirme qu’une telle conception du pouvoir serait demain vouée à l’échec. Nous vivons une des crises les plus graves et les plus décourageantes que notre pays ait connues depuis longtemps. Six millions de Français l’éprouvent dans le chômage, tout le monde s’interroge sur les régimes sociaux, la menace terroriste est partout présente, l’éducation nationale est déstabilisée. Qui peut prétendre que ce soit par le sectarisme, appuyé sur un parti politique agressif à l’égard de tout ce qui n’est pas strictement aligné sur ses ukases, donc par définition minoritaire, qu’un exécutif, quel qu’il soit, redressera le pays ?

Face à Nicolas Sarkozy j’affirme que cette ligne politique est nuisible à la France, et qu’il convient de choisir la ligne exactement inverse : trancher, oui, avancer, oui, décider oui. Mais prendre au sérieux et respecter même les autres, les grands courants du pays, même ceux avec qui on est en désaccord, même ceux que l’on a combattus ou qu’on combat, rassembler tous ceux qui acceptent de participer à la reconstruction, affirmer leur légitimité, convaincre chaque fois que nécessaire, plutôt que contraindre.

J’affirme même, à l’encontre de Nicolas Sarkozy, et je défendrai cette ligne, que tous ces grands courants du pluralisme français, très à droite, très à gauche ou très au centre, doivent être représentés dans nos institutions, même ceux avec lesquels je suis le plus en désaccord et en affrontement. D’abord parce qu’ils représentent bien plus de citoyens que ceux qui nous gouvernent depuis des décennies, mais surtout parce que c’est leur droit imprescriptible de citoyens de défendre des idées différentes. C’est leur droit de citoyens d’avoir leur mot à dire lorsque les décisions se prennent, même s’ils ont des nuances, ou des divergences. Rien ne justifie que la règle majoritaire empêche la représentation des minorités. La démocratie aide souvent à prendre de meilleures décisions que le pouvoir dérisoirement autoritaire.

Enfin il y a, si possible, encore plus grave à mes yeux : il y a un contresens sur l’idée même de peuple. Nicolas Sarkozy évoque dans cette campagne, jour après jour, un peuple frustré, dont il prétend s’appuyer pour justifier sa violence sur la prétendue réalité de la vie et dont il exprimerait tout haut ce que ce peuple penserait tout bas ; en réalité, il y a dans cette vision un profond mépris du peuple. Il y a une idée péjorative, une condescendance, une mésestime consciente ou inconsciente, pour le peuple considéré comme une troupe qu’il convient de mener par les plus bas des sentiments, ceux du rejet et de l’insulte, du fanatisme et de l’aboiement contre les boucs émissaires.

J’affirme au contraire que ce peuple que Sarkozy n’a jamais approché, au milieu duquel il n’a jamais vécu, avec lequel il n’a jamais passé ni une semaine, ni un jour sans caméras, ni en une ferme, ni en un quartier ouvrier, ni en une famille d’enseignants, ni chez des artisans, le peuple chez nous, qui y sommes nés, qui y avons grandi et travaillé, le peuple n’est pas ce qu’il veut en faire. Le peuple, contrairement à ce qu’il croit, n’est pas une masse qu’il convient de fouetter de passions et de prendre par le bas, par les instincts, par les mots qu’on jette avec un rictus, par l’excitation contre les boucs émissaires que l’on livre l’un après l’autre en pâture. C’est le contraire.

En face de lui, j’affirme ceci qui est l’essentiel, pour un président de la République comme pour un citoyen : le peuple a besoin d’être estimé et d’estimer, le peuple, le vrai et le seul, mérite qu’on lui parle à la hauteur de son histoire et de la dignité de ses enfants.

Et contrairement à ce que croit Nicolas Sarkozy, tout cela est parfaitement compris, parfaitement ressenti. Et je crois qu’il se trompe sur le fond. Je crois que Nicolas Sarkozy, abusé par sa propre angoisse et sa propre fuite en avant, passe à côté de l’essentiel. Je crois que ce qu’il agresse et qu’il stigmatise dans le soutien que j’ai décidé d’apporter à Alain Juppé, c’est précisément ce qu’un grand nombre de Français cherche et attend : des politiques qui soient animés d’esprit civique, qui soient capables de s’unir et de se rassembler quand l’essentiel est en jeu. Et par là-même, ces millions de Français comprennent que cette entente est une promesse : une fois l’élection acquise, ils auront une garantie, le nouveau Président de la République les entendra et on les respectera. Ce n’est pas la brutalité qu’ils veulent, ce n’est pas la violence, c’est la volonté et la compréhension des difficultés et des attentes de chacun.

Les Français ont tout saisi sans avoir besoin d’explications complémentaires. Ce n’est pas parce qu’il n’est pas assez violent, assez clivant, assez injurieux que Sarkozy décroche, c’est précisément parce que tout le monde voit toute la faiblesse que révèle un tel comportement. Et c’est pour cette raison que les Français, de droite, du centre et d’ailleurs, malgré la logique partisane de la primaire, s’apprêtent à lui dire non. Une deuxième fois.
 
François BAYROU

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